Já que, por estas paragens, as abordagens (qualificadas) sobre os rumos da Esquerda, a partir da situação grega e sua repercussão na Europa, praticamente inexistem, vamos então às fontes primárias, às discussões no original. Aí abaixo duas matérias evidenciando duas posições distintas em jogo. Em uma, em texto assinado pleo jornalista Bastien Boneffous e publicado no francês Le Monde (edição de ontem, 23/08), relata-se o encontro de Yanis Varoufakis (ex-Ministro das Finanças da Grécia) com dissidentes de esquerda do Partido Socialista francês, para tratar da resistência à hegemonia alemã. No encontro, pronunciou-se, poder-se-á dizer, uma declaração dura em relação às autoridades do governo alemão, lembrando o passado nazista do país: "já não precisam de tanques, têm os bancos." A segunda matéria, publicada também em outro periódico francês (L'Humanité, edição de hoje, 24/08), é uma entrevista com a historiadora Sia Anagnostopoulou, Ministra dos Negócios Europeus de Tsipras, que defende a posição política deste e assinala: "a nossa luta é no interior da Europa, não fora dela". Ou seja, uma perspectiva diferente da que passou a ser defendida pela dissidência do Syriza. A conferir.
Varoufakis e Jean-Luc Mélenchon, da francesa Front Gauche (Frente de Esquerda) |
Por Bastien Boneffous
(Le Monde,
23.08.2015)
Un groupe de musique répète sous le chapiteau
planté en plein milieu du stade communal. Les deux vedettes politiques du jour
ne sont pas encore arrivées, mais les musiciens donnent de la voix sur la
chanson Les Ecorchés vifs, de Noir Désir. Arnaud Montebourg et
Yanis Varoufakis sont eux les deux révoltés de la politique européenne.
L’ancien ministre des finances grec, nouveau héros des antilibéraux en Europe,
est accueilli sous les applaudissements peu après midi à Frangy-en-Bresse,
rebaptisée pour l’occasion « Frangy-en-Grèce » par
son hôte.
Invité d’honneur de la fête de la Rose, organisée
chaque année par Arnaud Montebourg dans son ancien fief de Saône-et-Loire,
M. Varoufakis se présente tout sourire, costume et chemise noirs, aux
côtés de l’ancien ministre de l’économie du gouvernement Valls. Quelques heures
plus tôt, le leader du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, l’avait accompagné
jusqu’à son train gare de Lyon, à Paris, pour s’entretenir avec lui avant son
départ pour la Bourgogne.
« Je suis très fier d’accueillir un ancien
ministre qui s’est battu contre l’austérité en Europe. Son témoignage est
fondamental pour nous Européens et pour le futur que nous espérons. C’est un
message envoyé à tous les dirigeants européens », déclare M. Montebourg à propos de son « ami
Yanis », à sa descente de voiture, pris dans une cohue médiatique
impressionnante, plusieurs médias étrangers s’étant déplacés dans le petit
village pour voir l’économiste grec.
Le millésime 2015 de Frangy n’est pas à la fête
L’an dernier, à la même époque, l’ancien patron de
Bercy avait envoyé de Frangy, avec le ministre de l’éducation Benoît Hamon, « une
cuvée du redressement » à François Hollande. Une provocation,
couplée à un discours au vitriol contre la politique économique du chef de
l’Etat, qui avait coûté aux deux hommes leur place au gouvernement. Cette
année, contrairement à ses habitudes, M. Montebourg ne fait pas le
fanfaron sur ses terres bressanes. A la fin du banquet républicain, il chante à
peine le traditionnel ban bourguignon avec son hôte. Le nouveau vice-président
d’Habitat se veut au contraire grave : « L’Europe est dans
une situation critique, les stratégies d’austérité mises en place par la
Commission européenne et par les Etats membres, en particulier l’Allemagne,
sont un échec », explique-t-il dans une conférence de presse commune
avec son invité. Pour M. Montebourg, la crise économique européenne représente
un « risque pour la démocratie ». « Si
malgré les votes des peuples, rien ne change, la colère des citoyens se portera
vers les mouvements extrémistes antieuropéens », en Grèce comme en
France, avertit-il.
Le millésime 2015 de Frangy n’est pas à la fête. La
pluie, qui tombe drue toute une partie de la journée, y est sans doute pour
beaucoup. Les rangs militants sont aussi plus clairsemés que lors des
rendez-vous précédents. Plusieurs élus socialistes du département n’ont pas
fait le déplacement, refusant de participer à une réunion qui cible largement
le gouvernement et l’exécutif français. Les « frondeurs » du PS ne
sont pas venus non plus, sans doute embarrassés pour beaucoup de s’afficher
avec M. Varoufakis, qui multiplie désormais les critiques contre le premier
ministre grec, Alexis Tsipras.
Parmi les proches de M. Montebourg qui sont venus
l’entourer figurent le sénateur socialiste de Saône-et-Loire Jérôme Durain, la
députée PS de Moselle Aurélie Filippetti, ou le député MRC Jean-Luc Laurent. « Il
y a une ligne gouvernementale qui existe, celle de François Hollande et de
Manuel Valls, mais il n’est pas interdit de réfléchir à d’autres idées
alternatives, c’est le rôle de Frangy, qui a toujours été un lieu de débats »,
explique M. Durain. Cécile Untermaier, la députée PS du cru, doit faire face à
une situation délicate, devant à la fois marcher avec M. Montebourg, sans
pour autant critiquer trop violemment le gouvernement. « François
Hollande a eu raison de tenir bon » dans la négociation
européenne, tente-t-elle d’expliquer à la tribune, provoquant les huées de la
foule…
Non loin du stand où sont mis en vente les derniers
ouvrages de MM. Montebourg et Varoufakis, un groupe de militants de la
Convention pour la VIe République débat de la situation
européenne. Le ton général est largement antiallemand. « La
politique de Schäuble est inadmissible, d’ailleurs sa mère s’appelait Göhring,
ça en dit long », s’emporte une femme contre le ministre des finances
du gouvernement d’Angela Merkel, avant de proposer que « l’Allemagne
sorte de l’Europe ». « Il ne faut pas tout mélanger,
notre problème ce n’est pas l’Allemagne, mais la droite allemande. Il y a Die
Linke et une partie du SPD qui sont très fréquentables », tente de lui
répondre son voisin plus mesuré.
Les deux hommes plaident pour « un nouveau
chemin »
Montant à la tribune après le déjeuner, les deux
non-alignés Montebourg et Varoufakis livrent bille en tête un réquisitoire
contre l’austérité en Europe et contre « l’obsession
allemande » de la dette. Le Français dénonce dans son discours « l’austérité
light à la française », estimant que les Français ont « voté
pour la gauche et se retrouvent avec le programme de la droite au
pouvoir ». Le Grec regrette, lui aussi, « l’impuissance » et « les
silences » de la France lors des négociations au sein de
l’Eurogroupe ces derniers mois. Ses mots sont durs contre le pouvoir
français : « Cela me rappelle ce que m’a dit un jour à Paris
Michel Sapin : “La France n’est plus ce qu’elle était” »,
raconte-t-il à propos du ministre des finances du gouvernement Valls.
L’un comme l’autre fustigent l’absence, selon eux, de démocratie dans le
fonctionnement des institutions européennes. M. Montebourg compare à « un
coup de force » l’accord que M. Tsipras a été contraint de
signer en juillet malgré le refus du peuple grec lors du référendum du
5 juillet. « Je suis là parce que notre printemps d’Athènes a
été écrasé tout comme le printemps de Prague. Ce n’était pas par des chars,
mais par des banques », ajoute M. Varoufakis.
Les deux hommes plaident pour « un
nouveau chemin » dans la construction européenne, qui permette « un
contrôle démocratique sur l’oligarchie qui nous dirige », explique
M. Montebourg. Reprenant la proposition de M. Hollande d’un
« Parlement de la zone euro », son ancien ministre demande que
celui-ci puisse contrôler la Banque centrale européenne comme la présidence de
l’Eurogroupe.
Mais le réseau des « progressistes
européens » qu’appelle de ses vœux M. Varoufakis n’est guère plus
détaillé. Trop tôt, explique le duo. « Avant de prendre des
décisions d’organisation, avant de résoudre un problème, il faut d’abord
l’identifier et le montrer aux consciences des citoyens européens »,
évacue M. Montebourg.
« Montebourg président ! », scandent quelques militants au passage du
candidat à la primaire socialiste de 2011. Mais celui-ci, qui affirme que son
discours de Frangy ne doit « pas être interprété sur un plan
politicien », se garde bien de rebondir. La cuvée de 2015 n’est
pas la première étape d’une candidature en 2017, assure M. Montebourg.
Même s’il reste une figure populaire à gauche,
l’ex-ministre n’apparaît pas comme un recours pour une majorité de
Français : selon un sondage Ipsos publié samedi, 69 % d’entre eux
n’accordent guère d’importance à son éventuel retour au premier plan politique. « Je
suis retourné à la vie civile, mais ça ne m’empêche pas de m’exprimer »,
explique l’intéressé, avant de préciser que s’il est « toujours
membre » du Parti socialiste, il rêvait que « ce
parti soit différent ».
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Entretien réalisé par Thomas Lemahieu (L’Humanité,
24.08. 2015)
Alexis Tsipras a annoncé sa démission jeudi
dernier. De nouvelles élections devraient avoir lieu le 20 septembre. Qu'est-ce
qui a poussé le premier ministre grec à prendre cette décision ?
Sia Anagnostopoulou. Alexis Tsipras a mis en avant deux raisons
que je partage. La première, c'est que notre parti, Syriza, s'est déchiré en
interne. Nous étions terriblement divisés et, faute d'appuis dans son propre
camp, le gouvernement a été soutenu par les partis totalement discrédités de
l'ancien système, la Nouvelle Démocratie et le Pasok. Ce n'était pas
supportable plus longtemps, c'était devenu très douloureux. La deuxième raison
est beaucoup plus importante pour le peuple : nous avons gagné les élections le
25 janvier dernier en promettant de négocier un accord honnête permettant de
changer la situation économique de la Grèce. Ce cycle de négociations s'est
terminé avec l'accord de juillet. Cet accord est extrêmement pénible pour nous.
Dès lors, à nos yeux, Alexis Tsipras est obligé de renouveler le mandat populaire.
Je veux insister sur ce point : jusqu'à présent, les gouvernements disaient
qu'ils étaient contre le mémorandum lors des campagnes électorales et, au bout
d'un mois, sans se battre, ils signaient et ils continuaient de gouverner sans
demander l'avis de quiconque ni s'adresser au peuple. Pour nous, pour un parti
de gauche, c'est inadmissible : c'est au peuple de décider s'il approuve, ou
pas, ce programme et notre démarche politique.
Cet accord est « pénible », avez-vous dit. Il
reprend de nombreuses mesures refusées par une majorité écrasante des Grecs
lors du référendum le 5 juillet... Quand on regarde, par exemple, le nombre
d'entreprises ou de biens publics sur la liste des privatisations, c'est assez
effarant. N’était-il pas possible de faire autre chose ?
Sia Anagnostopoulou. C'est sûr que cet accord ne correspond pas à
ce que nous avions promis au peuple grec et que nous attendions nous-mêmes.
C'est dans ce sens que je dis qu'il est pénible : c'est très difficile
d'imaginer un développement économique, de la croissance dans le cadre de cet
accord, avec des mesures si strictes et récessives. Le contexte financier est
extrêmement serré. L'accord contient des dispositions très dures pour le monde
rural et pour les classes moyennes. Ces privatisations sont totalement
dépourvues de logique, cela ne fait pas de doute. Mais si on compare ce
mémorandum avec les précédents, on doit dire quand même qu'il y a des
améliorations : nous ne ferons pas de coupes générales des salaires et des
retraites ; nous ne sommes pas condamnés à des excédents budgétaires aussi
faramineux que les précédents. Mais la logique demeure la même, c'est le dogme
néolibéral, c'est incontestable...
Si l'on reste sur l'exemple des privatisations,
tous les économistes sérieux, et même les plus libéraux, estiment que
l'objectif de 50 milliards d'euros qui proviendraient des privatisations est
totalement irréaliste. Est-ce qu'il n'y a pas une fiction totale dans cet
accord qui assigne au gouvernement grec des objectifs intenables ? Et du coup,
pourquoi le gouvernement grec l'a-t-il accepté ?
Sia Anagnostopoulou. Ce que qu'Alexis Tsipras et les négociateurs ont
voulu faire, c'est clair pour moi, c'est tout d'abord de gagner du temps et un
peu de marge. Nous étions obligés d'accepter un accord, d'y consentir parce que
la Grèce n'avait pas reçu d'argent des institutions européennes depuis plus
d'un an. Tout était suspendu, et pendant ce temps, nous avons payé les dettes,
avec les intérêts, par nos seuls impôts. L'Etat grec était au bord de la
faillite. Nous avions une obligation envers le peuple grec de ne pas laisser
perdurer la situation d'asphyxie totale. Les banques étaient fermées. On ne
pouvait rien faire d'autre que chercher à gagner du temps. L'accord était
nécessaire de ce point de vue.
Les dirigeants européens ont voulu en profiter pour
humilier Tsipras et lui faire avaler un memorandum. Ils savaient que nous
étions dans une nécessité impérative de trouver de l'argent et ils ont imposé
un accord conforme aux dogmes néolibéraux. De notre côté, ce que nous avons
demandé dans ces négociations, ce n'est rien d'autre que de prendre en
considération les réalités sociales. Mais les dogmes néolibéraux ne prennent en
compte que les réalités strictement financières.
Ceci dit, je veux insister : ce gouvernement a
réussi, malgré tout, quelque chose d'extraordinaire dans ces négociations.
C'est ce qui me fait penser que nous sommes plutôt au début de la lutte qu'à la
fin ! Avec ce memorandum, ça commence aujourd'hui. Tsipras a brandi un miroir
devant le visage de tous les dirigeants européens. Et ce qu'ils ont vu, c'est
un visage effrayant, celui du néolibéralisme brutal, incarné à la perfection
par le ministre allemand des Finances Wolfgang Schaüble. C'est la première fois
qu'une partie des dirigeants européens ont l'air de mesurer que le « problème
grec » n'en est pas vraiment un, que c'est plutôt un problème européen. Oui, il
faut affronter la crise des dettes souveraines à l'échelle européenne.
Sur la dette, la porte est ouverte pour la première
fois. Dans l'accord, il y a la promesse d'un examen, mais en même temps, on
voit bien avec les tensions entre le Fonds monétaire international et les
autres institutions que rien n'est joué...
Sia Anagnostopoulou. La lutte pour la réduction de la dette
publique est à mener pour la Grèce mais aussi pour tous les Etats européens. La
dette, ça n'est pas un problème grec. L'Italie est déjà confrontée à cette
crise. La France ne va pas tarder à se retrouver dans la même situation. On ne
peut pas détruire les structures sociales et l'Etat-providence pour résorber
une dette dont tout le monde sait qu'elle est insoutenable. Pour moi, la lutte
commence aujourd'hui et ça, en l'occurrence, c'est grâce à Syriza et à Alexis
Tsipras ! A cet égard, cet accord est aussi une victoire...
Est-il encore possible dans le cadre de la mise en
œuvre de cet accord de mener une politique de gauche ?
Sia Anagnostopoulou. Contre le maintien dans la zone euro, on nous
a demandé d'accepter un memorandum. Dans la campagne électorale, nous nous
étions engagés à chercher un accord dans le cadre de la zone euro. Nous
n'avions jamais dit que nous envisagions une sortie de la zone euro. Mais face
à un tel chantage, c'est beaucoup mieux que ce memorandum soit géré par un
parti de gauche que par les autres. Car notre essence reste d'améliorer le sort
des classes populaires. Sous les précédents gouvernements, on en était toujours
à culpabiliser le peuple : le peuple était coupable de tous les maux. Avec
nous, c'est différent. Le coupable n’est pas le peuple, ce sont les dogmes
néo-libéraux.
Vous l'évoquiez un peu plus tôt, vingt-cinq députés
quittent aujourd'hui Syriza pour constituer un groupe parlementaire et, dans la
foulée, un nouveau parti politique, considérant que rien n'est possible dans le
cadre du nouveau memorandum et que le gouvernement Tsipras trahit le « non » au
référendum. Comment vivez-vous ces déchirures ?
Sia Anagnostopoulou. Pour nous tous, la période a été infernale. Ces
députés étaient nos camarades. Nous avons mené de grandes luttes, ensemble
pendant des années, dans la rue, au Parlement... C'est difficile de les voir
aujourd'hui comme des adversaires. Pour moi, il aurait fallu rester unis,
éviter cette division dans Syriza. Tous, au fond, nous étions d'accord qu'au
moment précis de l'accord, il n'y avait aucune autre solution. Devant le groupe
parlementaire de Syriza, Alexis Tsipras est venu demander des propositions. «
Si vous voyez un autre moyen de sortir de la situation actuelle, faites-le moi
savoir et je vais le suivre », a-t-il lancé devant nous tous. Les seules
réponses qu'il a obtenues alors étaient : « On ne peut pas sortir
maintenant de l'Europe sinon c'est la catastrophe » ou après l'accord, «
acceptons le plan Schaüble d'une expulsion de la zone euro ». C'était
extrêmement dangereux. On le sait pourtant à gauche : quand les forces
capitalistes veulent la rupture, cela signifie qu'elles y sont prêtes, qu'elles
ont toutes les armes pour nous anéantir. Et je refuse que la gauche, et le
peuple grec par la même occasion, soient anéantis.
Syriza a toujours été une coalition avec des
différences... Le pluralisme interne n'était-il plus possible ?
Sia Anagnostopoulou. Pour moi, non, ça n'était plus possible. Lors du
dernier vote au Parlement, ces députés n'ont pas fait que voter contre notre
gouvernement, ils nous ont copieusement insultés dans l'Assemblée. C'est
totalement inadmissible entre camarades. J'ai compris à ce moment-là qu'ils
étaient prêts à créer leur propre parti.
J'ouvre une petite parenthèse : je comprends très
bien que Zoe Konstantopoulou, la présidente du Parlement, défende la démocratie
; elle est en danger avec le memorandum, c'est vrai... Mais ça, ce n'est pas
devant l'Assemblée grecque qu'il faut le dire, il faut le dire à l'Union
européenne. On l'a vu pendant sept ans, ces memorandums sont votés ici en Grèce
et ratifiés par d'autres parlements, mais la fonction des parlements nationaux
demeure tout à fait formelle. Ils n'ont aucun pouvoir effectif. C'est soit on
accepte, soit on refuse ! On ne peut pas discuter les mesures précises. Cela
vaut pour les Grecs, mais pour tous les autres : les Allemands ne peuvent rien
changer non plus ! Cela veut dire qu'on a un sérieux problème de démocratie en
Europe. Cette architecture européenne écarte les parlements nationaux, comme
d'ailleurs le Parlement européen... On a un problème au niveau européen, et pas
au niveau grec. Ce n'est pas Tsipras qui mine la démocratie en Grèce.
Il n'y a pas d'enjeu démocratique plus important
que la survie d'un peuple. Je ne pouvais pas voter contre le memorandum, avec
le risque que le peuple grec soit entraîné dans une catastrophe du jour au
lendemain.
Le parti créé par les dissidents, Unité populaire,
accuse Alexis Tsipras d'opportunisme électoraliste. Sa figure de proue,
Panayiotis Lafazanis, qui a été ministre jusqu'à la mi-juillet explique aussi
que Syriza agit désormais comme les partis du vieux système grec... Comment
réagissez-vous ?
Sia Anagnostopoulou. C'est très injuste. Lafazanis connaît très
bien la situation... Il était un des ministres les plus importants du
gouvernement. Par exemple, il sait parfaitement que Tsipras a cherché - avec
lui d'ailleurs - de l'argent en dehors de l'Union européenne afin de desserrer
l'étau, mais que ça n'a pas marché...
En Russie et dans les grands pays émergents – les
Brics -, c'est ça ?
Sia Anagnostopoulou. Oui. Aucun n'a voulu nous avancer quoi que ce
soit. Tous ont dit au gouvernement grec d'aller vers l'accord avec l'Union
européenne.
Pourquoi Alexis Tsipras réclame-t-il l'implication
du Parlement européen dans le contrôle de la mise en œuvre de l'accord ?
Sia Anagnostopoulou. Pour moi, il s'agit d'améliorer le rôle du
Parlement européen. C'est une institution de l'Union européenne. Ce parlement
doit avoir un rôle. On connaît les rapports de forces dans le Parlement
européen, mais à partir du moment où celui-ci suit l'application des mesures de
l'accord, on peut espérer avoir des ruptures. On peut rendre visible le
problème financier de l'Union européenne, c'est un problème qui doit être
discuté sur le terrain politique.
Mais le Parlement européen, c'est aussi le lieu de
l'alliance au sein d'une grosse coalition entre la droite et les
sociaux-démocrates...
Sia Anagnostopoulou. Les sociaux-démocrates doivent prendre une
position sur l'Union européenne. Ils se sont alignés sur les forces
néo-libérales en détournant la tête de ce qu'il se passe dans la société. S'ils
veulent continuer d'exister, s'ils veulent avoir encore des raisons d'exister
politiquement, ils doivent recommencer à regarder la société. Si les
socialistes européens ne renouent pas avec leurs racines de gauche, ils sont
perdus.
Avec l'annonce des élections, jeudi dernier, on a
assisté à un concert assez inédit d'encouragements, venus de Bruxelles ou de
Berlin, par ceux-là qui n'avaient pas de mots assez durs pour fustiger
l'attitude du gouvernement grec avant le 13 juillet... C'est un baiser qui tue
?
Sia Anagnostopoulou. On doit comprendre les manipulations. Entre
janvier et juillet, le plan des institutions européennes était de pousser
Tsipras à la démission et de donner le pouvoir aux forces austéritaires du
système grec avec lesquelles les institutions travaillaient étroitement. Le
référendum a été déterminant à cet égard. Tsipras a très bien fait de le faire,
car les forces néolibérales européennes, en coalition avec leurs relais grecs
comme Nouvelle Démocratie, le Pasok et To Potami, ont tout mis dans la balance
pour le « oui ». Ce devait être la fin de Tsipras et du gouvernement Syriza.
Quand elles ont vu que le « non » a recueilli plus de 62 %, ça a été le choc.
Les institutions ne s'attendaient pas à un tel résultat, incapables d'imaginer
qu'un peuple complètement asphyxié financièrement – et cette situation perdure
d'ailleurs – avec les banques fermées, puisse soutenir aussi fortement le
combat de son gouvernement. À partir de ce moment-là, en dehors du ministre des
Finances allemand Wolfgang Schaüble, tous les autres ont fini par comprendre
que la seule personne avec laquelle ils sont obligés de négocier, c'est
Tsipras. Le formalisme démocratique européen est déterminant. Au fond, on ne
prête aucune attention à la volonté du peuple, à ses références sociales, mais
on est obligés de le faire de manière formelle.
Le sommet des chefs d'Etat de la Zone euro, le 12
juillet, c'est une victoire de Tsipras car les Européens, même Angela Merkel,
ont dû s'asseoir autour de la même table que lui. Ils savent très bien que,
s'ils veulent que la Grèce reste dans la zone euro, il n'existe qu'un seul
interlocuteur : Tsipras. Les autres sont absolument détestables, ce sont eux
qui ont conduit la Grèce dans la situation actuelle. Et de l'autre côté, le
miroir que Tsipras a mis devant les visages des dirigeants européens, a renvoyé
la véritable image de l'Union européenne, celle du néolibéralisme avec cette
hégémonie allemande. Lors de la nuit interminable du 12 au 13 juillet, nous
avons été obligés d’accepter l’accord pour ne pas renforcer l'hégémonie
allemande...
L'hégémonie allemande est-elle entamée, d'après
vous ?
Sia Anagnostopoulou. Non, bien sûr ! Mais il y a quelques petites
ruptures. Pour nous, pour la gauche, - et pas seulement la gauche grecque, mais
bien toute la gauche européenne -, un espace s'ouvre pour les mobilisations. La
lutte, c'est de montrer que la gauche peut donner un autre contenu à ce
consensus. Jusqu'à l'avènement du gouvernement Syriza, la croyance était très
forte dans l'Union européenne : « On en a fini avec la gauche ! » La
social-démocratie allait, et continue d'aller avec la droite dans des
coalitions sans rupture. Dans ce contexte, nous-mêmes, la gauche paraissions
totalement insignifiants. On ne faisait plus peur du tout.
Il y a quelques signes d'émergence, en effet : au
Royaume-Uni avec le débat interne au parti travailliste ou même en Finlande où
samedi, des milliers de manifestants ont défilé contre l'austérité... Mais
parmi les forces qui se battent contre le néolibéralisme, l'accord extorqué à
Bruxelles après la cinglante victoire du « non » a tout de même douché pas mal
d'espoirs...
Sia Anagnostopoulou. Nous avons montré que la gauche est là,
encore et toujours là en Europe. C'est aussi pour cette raison que je ne suis
pas d'accord avec les analyses de Lafazanis et de ses camarades : la lutte doit
être dans l'Union européenne, pas en dehors. La gauche doit mener la bataille
là où elle se passe, pas ailleurs ! On ne peut pas considérer que c'est une
simple question de souveraineté nationale : nous contre le reste du monde !
Nous n'avons pas une lutte contre les Allemands ou contre d'autres Européens.
Pour nous, la lutte doit se mener avec les Allemands, avec les Français, avec
les Espagnols, les Portugais ou les Italiens, avec les Finlandais qui
manifestaient samedi contre l'austérité, avec les Britanniques qui
s'intéressent à ce que dit Jeremy Corbyn dans la campagne pour la tête du
Labour...
Sur quelles priorités allez-vous mener la campagne
électorale ?
Sia Anagnostopoulou. On va la faire sur un nouveau programme dans
le contexte serré du memorandum. Nous avons une série de propositions qui
doivent servir à désamorcer les mesures néolibérales de l'accord. Pour nous, il
s'agit de soulager et de protéger les classes populaires. Nous sommes obligés
d'adapter notre programme, bien sûr, mais nous voulons ne pas toucher le peuple
le plus fragile, nous voulons protéger les plus faibles. On parle toujours de «
réformes ». Je suis d'accord pour les réformes, mais à condition qu’elles ne
conduisent pas à la destruction de la cohésion sociale. Ce qui est plus
important encore, c'est de ne pas imposer aux peuples des réformes par la
violence. Faute de quoi, on s'habitue à voir le pouvoir politique décider pour
la société par des biais de violence. Et ça, c'est très dangereux, car c'est
faire des cadeaux à l'extrême droite...
Comment ça ?
Sia Anagnostopoulou. Si on dit que la Grèce doit faire des
privatisations d'une telle ampleur, cela signifie que l'on a une violente
transformation de la société, un gigantesque bouleversement. On habitue la
société à cette violence. Et toujours dans l'Histoire, c'est l'extrême droite
qui a profité de cette mentalité.
Donc, il faut faire des réformes en Grèce. Nous
sommes d’accord. À gauche, nous avons longtemps été les seuls à crier pendant
des décennies qu'il fallait revoir les administrations publiques, sortir du
clientélisme, récolter l'impôt, etc. Il faut des réformes, mais sans attaquer
les classes sociales les plus fragiles !
C'est encore faisable ?
Sia Anagnostopoulou. Oui, car c'est nous qui gérons ce memorandum.
Du coup, le message que nous adressons aux Européens est celui-ci : si nous,
les Grecs, sommes parvenus à faire une petite rupture dans l'Union européenne
et à montrer le vrai problème, il faut que la gauche européenne prenne la
relève. Toute la mobilisation doit se porter désormais sur la dette ; on doit
européaniser cette question de la dette grecque. La dette est une affaire
européenne et pas seulement grecque. Cela peut être la première victoire de la
gauche européenne. Nous ne sommes pas insignifiants, nous sommes visibles en
Europe, nous avons les moyens de faire autrement.
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